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Le Patois en 1808 - Extrait du livre : Statistique Générale de la France publié en 1808  (MDCCCVIII)


L'extrait ci-dessous du livre 'Statistique Générale de la France' écrit par le Préfet Bossi, publié par ordre de Sa Majesté l'Empereur et Roi en 1808, présente la vision de notre patois au début du 19 ème siècle.

Hormis quelques mots en italique, nous voyons que notre langue française reste identique plus de 200 ans plus tard.

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(Extrait des pages 318 et suivantes)


La langue françoise est la seule en usage dans le département de l'Ain. A part quelques expressions locales, on la parle généralement assez bien ; depuis quelques années surtout, elle est devenue l'objet d'une étude particulière dans les différentes villes du département, et principalement dans le chef-lieu. On peut dire qu'il est peu de pères de famille jouissant de quelque aisance, même parmi les artisans, qui ne tiennent à ce que leurs enfants de l'un et l'autre sexe reçoivent ce genre d'instruction ; et il est satisfaisant de voir que ce n'est pas sans succès.

Quant à l'habitant des campagnes de la Bresse, il parle un dialecte ou patois qui varie sans cesse dans les différents point du département, et souvent même de commune à commune.


Ce patois est un mélange de Celtique, de Latin et d'Italien. Le Celtique s'y remarque très peu, comme étant plus éloigné de sa source ; l'Italien s'y montre assez souvent, et la langue latine se constitue le fonds, comme elle fait celui de la langue françoise qui en est une fille immédiate, mais cultivée et polie, tandis que le dialecte bressan est, pour ainsi dire, resté dans sa rudesse native.

Un des caractères distinctifs du patois de la Bresse est le retour très fréquent de la terminaison « o » prononcé grave et très allongé, qui se retrouve presque toujours par son final, à l'infinitif et au participe des verbes de le première conjugaison. Cette terminaison se change en « a » long et ouvert dans le patois du Bugey, précisément dans les mêmes modes.

Le dialecte de cette partie du département a conservé un plus grand nombre de mots latins que le Bressan. On y rencontre aussi beaucoup de mots Italiens ; le voisinage de la Savoie et du Piémont en explique aisément la cause.

Il est à remarquer que le patois Bressan a subi beaucoup de changements depuis quelques années, et surtout depuis la révolution qui a considérablement multiplié les relations entre les campagnes et les villes. Les campagnes ont emprunté de ces dernières un certain nombre d'expressions souvent mal entendues, il est vrai, et par conséquent altérées et mal rendues ; néanmoins, on peut dire que ces sortes d'emprunts lui ont été avantageux ; ils ont singulièrement contribué à répandre une certaine clarté dans un idiome (1) dont la grande habitude seule pouvoit donner l'intelligence.

Le langage du Bressan est très peu figuré ; les métaphores y sont rares ; il se contente de dire tout simplement sa pensée. L'accent, qui, joint à la parole, lui donne une sorte de vie, une plus grande activité, et colorie pour ainsi dire, le tableau de sa pensée, est presque nul dans le patois Bressan. Sa prononciation est languissante et monotone ; rarement l'accent de la passion vient l'animer. La cause en est dans le climat qu'il habite : ses démarches, ses déterminations, ses actions et son langage, tout en porte l'empreinte.

Il faut bien se garder néanmoins de conclure de ce que nous venons de dire du langage peu animé du Bressan, que la nature l'ait négligé sous le rapport des facultés intellectuelles : on le jugeroit fort mal. Si elle ne l'a pas doué de cette imagination ardente qui presque toujours se nourrit d'illusions, et enfante des projets plus brillants que solides, s'il n'en a pas reçu cette sensibilité d'organisation que l'on remarque dans les contrés méridionales, elle l'a dédommagé libéralement en lui donnant une raison tranquille, un sens droit, u jugement sain et des qualités morales extrêmement précieuses.

Pour donner une idée du patois Bressan, nous plaçons ici la traduction dans ce patois de la parabole de l'enfant prodigue. (Saint Luc, chap. 15, v. II-32) :

Parabôla de l'éfan prodegou

11. On sartin zoumou ave deu gaçon.

12. Lou ple zeunou dece  à son pôre : mon pôre, baillô me la pourcion  de bin que me revin ; é lou pôre fe lou partazou de son bin.

13. Peu de zour apré loup leu zeunou de cé deus éfan ramôssa tou ce que l'ave, mouda dé on paï bin loin, et manza tou son bin én débôce dé ceti paï.

14. Quén l'u tou ménza, la famena vinci  dé ce l'endre, é i devinci peuvrou.

15. I mouda é alla servi vé ion des abité du paï, que l'envia dé sa maïson de caipagne per i gardo leu caïon.

16. I désirôve rémpli son ventrou  de ce que leu caïon menzôvan, é nion ne l'én baillôve.

17. En revenién én lui-mémou, idece : combin a t'eu de vôle dé la maïson de caipagne de mon pôre qu'on de pan tin qu'i veglion, é ma ze meurou itie de fan.

18. Ze me préndre, é z'ire vé mon pôre, é ze li dere : mon pôre, z'aï fa na fôtâ contre lou ciel é contre vous.

19. E  ze ne meretou pô mé d'être apelô veutron gaçon, tretô-me quemé ion de veutreu vôle.

20. I se pre, é s' n'alla vé son pôre ; l'ére encoure bin loin quén son pôre lou viu ; i pre pedia de lui, i core, li sôta u Coü, é l'ébracha.

21. Son gaçon li dece : mon pôre, z'aï fa na fôta contre lo ciel é contre vou ; ze ne meretou pô mé d'étre apelô veutron gaçon.

22. Lou pôre dece à son vôle : apourtô tou de suite la ple bala rouba, e li veti ; betô na baga à son da, é de soulâ à seu pie.

23. Alle queri on ve grô, tiô-lou ; nou lou manzerein é nou regalarein.

24. Per amonque mon gaçon, que vetia, ére meur, é l'é ressuscitô ; l'ére predu é l'ai retrovô ; i queméciron don à se régalô.

25. Lou ple vioü de seu gaçon ére dé leu san ; quén vin i revince, é qu'i s' aproussa de la maïson, l'entende lous instrumén é lou brui de cetie que danchôvan.

26. L'apela ion dé vôle é demanda ce qué i ère.

27. Lou vôle li deci : veutron frôre é revenu, é veutron pôre a tio on vé grô, per amon que lé revenu én bena santô.

28. L'én fe fossa, é ne vuse pô entrô ; lou pôre seurte don per lou prie de veni.

29. Mé i refonde à son pôre, é lou dece : mon pôre, vetia za té d'annô qué ze vou charvo, é z'aï tourzou fa ce que vou m'a commandô, é vou ne m'a pô l'aman bailla on belin per me regalô avoua meus ami.

30. Mé quén veulron nôtrou gaçon qu'a raenza tou son bin avolla de galoupene, é revenu, vous a tiô pre lui on vé grô.

31. Lou pôre lô dece: men'éfan, to tourzou étô avoua ma, é tou ce que z'aï, tinnou.

32. Ei faille bin se regalô é se devréti, per amon que ton frôre que vetia ère meur é l'é ressuscité; l'ère predu é l'é retrovô.


(1) Ndlr. Un idiome (du grec idios "propre, spécial") est l'ensemble des moyens d'expression (langage, modes de pensée) d'une communauté donnée, relatif à un domaine d'activité spécifique de cette communauté. Une même communauté peut s'exprimer dans plusieurs idiomes plus ou moins disjoints suivant leurs différentes activités.

Texte de la Parabole de l'enfant prodigue sur lequel s'appuie le texte original ci-dessus en patois.


La Parabole de l'enfant prodigue

[Jésus] leur dit encore :

11. " Un homme avait deux fils, dont

12. le plus jeune dit à son père : "Mon père, donne-moi la part du bien qui me doit échoir." Ainsi, le père leur partagea son bien.

13. Et peu de temps après, ce plus jeune fils ayant tout amassé, s'en alla dehors dans un pays éloigné, et il y dissipa son bien en vivant dans la débauche.

14. Après qu'il eut tout dépensé, il survint une grande famine en ce pays-là ; et il commença à être dans l'indigence.

15. Alors il s'en alla, et se mit au service d'un des habitants de ce pays-là, qui l'envoya dans ses possessions pour paître les pourceaux.

16. Et il eût bien voulu se rassasier des croupes que les pourceaux mangeaient ; mais personne ne lui en donnait.

17. Etant donc rentré en lui-même, il dit : Combien ya-t-il de gens aux gages de mon père, qui ont du pain en abondance ; et moi je meurs de faim !

18. Je me lèverai, et m'en irai vers mon père, et je lui dirai : Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi,

19. et je ne suis plus digne d'être appelé ton fils ; traite-moi comme l'un de tes domestiques.

20. Il partit donc, et vint vers son père. Et comme il était encore loin, son père le vit, et fut touché de compassion ; et courant à lui, il se jeta à son cou et le baisa.

21. Et son fils lui dit : "Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus digne d'être appelé ton fils".

22. Mais le père dit à ses serviteurs : "Apportez la plus belle robe et l'en revêtez ; et mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds ;

23. et amenez un veau gras et le tuez ; mangeons et réjouissons-nous ;

24. parce que mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, mais il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir.

25. Cependant son fils aîné, qui était à la campagne revint ; et comme il approchait de la maison, il entendit les chants et les danses.

26. Et il appela un des serviteurs, à qui il demanda ce que c'était.

27. Et le serviteur lui dit : "Ton frère est de retour et ton père a tué un veau gras, parce qu'il l'a recouvré en bonne santé".

28. Mais il se mit en colère, et ne voulut point entrer. Son père donc sortit, et le pria d'entrer.

29. Mais il répondit à son père : "Voici, il y a tant d'années que je te sers, sans avoir jamais contrevenu à ton commandement, et tu ne m'as jamais donné un chevreau pour me réjouir avec mes amis.

30. Mais quand ton fils que voici, qui a mangé tout son bien avec des femmes débauchées, est revenu, tu as fait tuer un veau gras pour lui".

31. Et son père lui dit : "Mon fils, tu es toujours avec moi, et tout ce que j'ai est à toi.

32. Mais il fallait bien faire un festin et se réjouir, parce que ton frère que voilà, était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé."
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